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Les naufragés de l’île de la tortue (1976)

de Jacques Rozier

Les couleurs changeantes de la lampe à filaments qui font écho à celles du ciel, l’exotisme affiché qui donnera la main aux affiches pour l’exotisme, les femmes noires puis le pays réel, et des moments d’enlisement, typiques de Rozier, qui aime ce qui dure et préfère les ellipses au résumé. D’où que le film s’embranche différemment comme les anneaux d’un serpent, par tronçon découpés à la machette. Les conditions atmosphériques sont au centre du cinéma de Rozier, cinéaste de ce qui passe, glisse, varie, tombe à plat, la mise en situation (plus que mise en scène): en un mot « le ventre mou » (celui de Villeret) dont la mollesse reste imprenable, change de forme; la parole est l’autre grand génie de Rozier : l’idée géniale de l’attachée de presse un peu lettrée grandiloquente, un peu pub, sur son quant à soi, qui fait le « journal » à la première personne de ce que les autres vivent en parallèle et qui imprime sur les images une voix chaude et candide, éminemment sympathique. Moquerie de l’exotisme baba des petits blancs, conscience du « surtourisme » et des « paradis blancs », préfiguration du « loft » et vraie plongée dans la nature, que l’on voie vraiment. Avec la musique qui entoure tout ça et ponctue les phrases des uns et des autres avec malice.

Dessous, comme je l’avais vu pour Maine Océan, un vrai tragique dissimulé sous la bonhommie, une acidité du « retour à » (au commerce, à la fin, puisqu’ils montent leur agence littéralement bricolée). Passage par la case prison pour vol de bananes sur propriété privée par Bonaventure. Impossibilité de se « déterritorialiser ».

Manière de croquer les identité des personnages à travers l’étrangeté des costumes (qu’il s’agit par la suite de déchirer) : comme cette compagne du grand patron, très belle femme noire extrêmement chic, gravure de mode qui attend dans le grand hôtel et pose – souriante et imprenable, elle aussi, devant les zigotos qui vont la voir.

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