De Christian Petzold
Une histoire d’échange, entre deux groupes de corps (les femmes / les hommes). Tout le monde se regarde, s’observe. moments fantastiques où Betty, la mère apparaît brusquement dans le contre champ. On ne savait pas si elle était là (= Daney Genet), que le plan était subjectif. Qui regarde qui. Affaire de position. Laura suicidaire dans les premiers temps. Errant près du lac. Elle est manifestement absente auprès de son mec, en boule évaporée. Ce qui disparaît après l’accident où elle redevient présente. Absolument pas sonnée.
Ce qui est réussi dans le film est (// Farocki) l’aspect matériel, des angles (très allemands), une certaine géométrie et une économie de moyens, couper au ras de l’émotion sans la rogner, pas des touches mais des lignes de croisement (comme chez les Zurcher). C’est la copresence qui les « guérit ». Pas un jeu de place (on est pas chez Chabrol) mais un complexe de regard : je m’appartient en te regardant. Et autour, le monde matériel. Presque comique l’apparition des deux hommes dans leur garage. De vrais mecs (« mes hommes » dit Betty sur le vélo, cassant d’un coup la romance lesbienne & le roulis du vélo, prolongement de la durée paisible d’avant).
Les potentialités qui affleurent dans ce vivre ensemble flottent et coexistent, elles aussi, en mineur. La musique classique dans la voiture des deux hommes, qui pourrait paraître incongrue, voire plaquée, est à la fois logique (elle trouvera une explication = c’est la musique jouée par la fille suicidee) et en même temps possible (pourquoi ces deux hommes à la masculinité reposée peuvent bien écouter ça, il y a des livres dans la maison etc). Le film appuie l’aspect sociopolitique lorsque Laura finit par appeler son père : double camouflet 1) moi aussi j’ai une famille 2) il leur donne du fric, il ne sait pas (on a alors accès un regard extérieur, comme ceux qui passent à vélo et regardent simplement Laura / on comprend, si on veut le voir, que c’est parce qu’elle a les vêtements de l’autre).
Aspect fantastique qui coexiste aussi comme un calque de plus : Betty sort sur le perron, observe Laura, apparaît soudainement. Réminiscence de Rebecca évidemment. Mais la machine à laver qui explose. Les hommes qui « fixent » tout le matériel et Betty (qui dort sur le canapé du salon) qui l’a laissé tomber en ruine. Réparer le robinet qui goutte, la machine coincée, le vélo qui n’a plus de selle.
La surveillance à la fin : on imagine que ça va basculer dans le pathologique, mais non, en fait. Ils vont bien la voir à son audition (Betty avec de comiques lunettes bleues) mais finalement, Laura rentre chez elle en souriant. Étrange relation qui ne peut pas être nommée et échappe au discours.
C’est parce que Betty a vu deux fois Laura passer en voiture (dans un sens et dans l’autre, même mouvement qui sera aussi celui du film, l’aller retour de Laura dans la
Maison, mais aussi les multiples trajets entre le garage et la maison) qu’elle l’a sauvé. Elles se sont reconnues l’une l’autre. On peut se dire que Betty savait que Laura était suicidaire et qu’elle l’a choisie pour ça.
Et enfin la musique. Celle de la voiture du producteur (Laura sommée d’identifier la tonalité de la musique rétro dans la voiture rétro), celle entendue dans le garage dans le moment de grâce & de drague entre Laura et le frère. Toujours la lisière. La lisière de la violence (à la Bresson, on ne la voit pas, seulement les effets. Les causes sont toujours mystérieuses, comme la mort, tout relève de l’accidentel).
La propreté des plans, leur élégance de ligne et de couleur (par ex: lorsque Laura et le frère prennent une bière devant la garage : un balai posé en biais, du bleu, du rouge, du vert au fond de boîtes ou rébus, un équilibre des lignes qui rend le plan « évident » qui l’assure matériellement comme non pas l’angle parfait ou décisif, mais une sorte de plan « taillé », saisi angulairement comme un motif. Là encore le regard. Il y a aussi de beaux croisements : Laura fait des tours en vélo (// Moretti) et passe brièvement par la gauche du plan sur le frère tandis que la voiture du père arrive.) toujours des moments furtifs, qu’il faut saisir pour comprendre que c’est bien une affaire de mouvements parallèles et célibataires qui jouent leurs flexions d’unions et de désunions des personnages.