De Robin Campillo, (dernier) scénario de Laurent Cantet
Beau garçon rond et beau mec ukrainien dont on n’a pas de peine à imaginer que le premier peut désirer, aimer peut-être. Mais tout cela est regardé très à distance. Campillo préfère filmer des gestes de travail (rapidement) et la beauté de paysages (lents pano verticaux). Ce qui me gêne: les actions s’enchaînent mais rien n’est ancré, car pas solidarisé. Tous les personnages sont naturalistes sauf un, qui se retrouve opaque moins parce qu’il ne l’est pas que parce qu’il y a à son sujet un « retrait de caractérisation », qui se veut peut-être bressonien mais du coup manque de crédibilité dans le tableau.
F a raison de pointer le thème de la peur, présent dans tous les films de Campillo (ici le regard du père, point focal du récit, papa poule qui lave les vêtements de son fils). Il y a de l’amour partout (du père au fils, du fils à l’autre etc et sans doute du réal pour ses persos) mais j’y vois surtout son potentiel de généralité vague, donné comme une évidence alors que, justement, il devrait y avoir friction. Là, tout est accepté. Enzo s’aveugle peut-être sur son désir, comme ses parents le pointent, mais nous n’y auront pas accès car le film ne prend en charge aucun point de vue (prenant un instant celui de Vlad qui l’observe dans sa chambre de la maison vitrée (et souvenir de Juste avant la nuit de Chabrol, qui savait montrer l’étouffement absolu de la maison en verre) mais le plan est frontal et ne correspond de fait à aucun point de vue). Les plans ne disent rien, ne révèlent rien, mais disposent les différents éléments. La mise en scène accède à quelque chose dans le gros plan et lorsque la durée décroche un peu, comme lorsque Enzo chante sur la chanson, et à la fin, lors de l’appel téléphonique et l’aveu, où quelque chose des expressions se lit. Mais est-ce que cela a un sens de filmer un jh qui serait à ce point détaché de tout ancrage internet/instagram, de l’imaginaire de sa génération ? C’est un sujet intéressant sur lequel le film fait l’impasse et qui pourrait pourtant nous donner des ressorts psychologiques. Le vouloir matériel, construire et faire de ses mains, thématique mise en avant, n’est pris ni dans la physicalité (on ne voit pas la difficulté ni l’apprentissage (même si des plans, plutôt interessants et même émouvants, montrent des apprentis à l’école), le corps d’Enzo – là, bon choix – un peu rond encore et musclé, « mal dégrossi », corps d’ouvrier en devenir dont la maladresse est moins visible que l’indifférence) ni dans la parole, simple transition déclarative vers les caractéristiques exprimées des personnages. Du coup, froideur et absence d’engagement, comme si le film disposait sans prendre (son) parti, sans se « donner » à ce qui pourrait potentiellement le défaire de ses sujets qui n’en sont pas vraiment, puisqu’au final on y apprendra rien sur le désir homo d’un ado riche pour un ouvrier et le monde qu’il ouvre (qu’a-t-il désiré, et pourquoi, qu’a-t-il vu ?). On aura « rien vu », sinon une tentation de mort provoc, adolescente, un jeu avec les possibles qui n’est (comme le film comme objet fini) que transitoire. Reste la lumière du Sud, et la beauté de ces corps à qui on délégue le soin d’exister tandis qu’on les cale dans une histoire, sans beaucoup de marge ni de sensualité.